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You are currently viewing RFMV n°7 – Méthodes créatives, La part artistique des sciences sociales

Date/heure
15/11/2021

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La Revue Française des Méthodes Visuelles lance un appel à communication pour son 7ème numéro intitulé Méthodes créatives, La part artistique des sciences sociales, qui sera cordonné par Emilie Balteau, Hanane Idihia, Hélène Mutter, Alexandra Tilman et Hélène Tilman.

Argument

Comment se pense et se fabrique la recherche sur les mondes sociaux lorsqu’elle prend corps dans une forme artistique ?

Cet appel fait écho à la naissance du CIREC (Centre de recherche-création sur les mondes sociaux1), dont l’un des axes majeurs vise à interroger les conditions d’existence des formes artistiques des sciences sociales. Cette volonté s’ancre dans un constat paradoxal et une hypothèse principale.

De plus en plus de chercheuses et chercheurs en sciences humaines et sociales se saisissent des arts visuels, comme moyens d’investigation, mais aussi comme modes d’expression de la recherche (Haicault, 2010 ; Grésillon, 2020 ; Cuny, Färber et Jarrigeon, 2020). Ces recherches peinent pourtant à se doter d’un cadre fédérateur, sur le plan pratique comme théorique, et sont peu visibles dans le paysage académique actuel. Alors que l’environnement institutionnel apparaît en France encore peu adapté (Grésillon, 2020), rares sont les textes qui abordent la question des formes artistiques de la recherche en sciences sociales dans une perspective d’ensemble et font dialoguer les disciplines (l’anthropologie, la sociologie, la géographie et l’histoire notamment)2.

Pour emprunter les mots de Boris Grésillon, on peut en effet déplorer une relative absence « d’enquêtes portant sur les pratiques artistiques des chercheurs [et chercheuses] ». A propos de ces dernier·e·s, il précise : « pas [ceux et celles] qui travaillent sur l’art et les artistes […] mais ceux [et celles], beaucoup plus rares, qui travaillent non seulement avec mais aussi et surtout, en partie, comme artistes » (Grésillon, 2020 : 57).

C’est précisément sur ce terrain que le présent appel entend se positionner : celui de la recherche-création, entendue comme l’ensemble des travaux de recherche qui mêlent les approches  scientifiques et artistiques afin de produire des connaissances sur le monde social, à la fois sensibles et intelligibles, complexes et accessibles. Car – c’est l’hypothèse – ces travaux (ces films et ces photographies, plus rarement ces installations, ces dessins et ces performances théâtrales) partagent des interrogations et des pratiques qui soulèvent des problèmes communs. Nombreuses et nombreux d’ailleurs sont celles et ceux qui appellent en ce sens au décloisonnement des disciplines et des champs (Ruby, 2011)3, un décloisonnement relatif à l’existence d’artistes-historien·ne·s, de sociologues-cinéastes ou encore d’anthropologues-plasticien·ne·s qui portent une « double casquette » et détiennent des compétences à la fois artistiques et scientifiques.

Le présent appel entend ainsi participer à saisir les contours de la recherche-création en sciences sociales. Privilégiant ici le point de vue de la méthode (en accord avec la ligne éditoriale de la Revue Française des Méthodes Visuelles), il porte le regard sur les manières dont se conçoit la recherche quand elle s’écrit sous une forme artistique. Comment elle se pense et comment elle se fabrique. Comment se pense le rapport entre l’art et les sciences sociales et comment celui-ci s’articule concrètement dans le processus de recherche.

Il s’agit non seulement de repérer où l’un et l’autre se rejoignent/se font écho/se complètent, mais aussi où l’un et l’autre entrent éventuellement en désaccord, se confrontent, ou encore renvoient à des logiques propres. Ces rapports potentiellement conflictuels doivent aussi, à notre avis, être pris en charge par l’analyse pour ne pas se contenter d’une vision idéalisée du rapport qui lie l’art et les sciences sociales. Pour saisir ces (im)possibilités en jeu dans les formes artistiques des sciences sociales, plusieurs axes peuvent être envisagés (non exclusifs les uns des autres). Ils renvoient aux différents « moments » constitutifs de la recherche, tous susceptibles d’être infléchis par la part créative dont il est ici question.

Regarder et sentir

Dans quelle mesure et comment la visée d’un objet artistique à construire oriente le regard sur la dimension sensible du monde social dès les premiers temps de l’investigation (avec ou sans appareil de prise de vues) et interroge « ce que regarder veut dire » (Vander Gucht, 2017) ? Et si l’objet de recherche n’est pas pensé artistiquement dès le début, à quel moment la nécessité de décentrement et de mise en dialogue disciplinaire intervient-elle dans le processus de recherche, et pourquoi ?

Dans quelle mesure l’objet artistique favorise la réflexivité de la chercheuse et du chercheur et la prend en charge ? Et dans quelle mesure la dimension créative de la méthode attire-t-elle ici l’attention sur quelque chose comme « la part de soi », ces impressions personnelles et intimes qui participent de son rapport aux choses et aux gens ?

Interroger les méthodes créatives invite ici à porter l’attention sur « la part sensible » qui, explicitement ou implicitement, accompagne toute forme de recherche en sciences sociales, mais qui, dans le cadre de recherches-créations, devient un opérateur majeur d’intelligibilité4.

Confectionner et dire

Comment l’objet artistique déploie le propos sur le monde social ? Quels éléments signifiants insère-t-on et quels dispositifs de réalisation élabore-t-on pour rendre compte de la réalité sociale étudiée dans toute son épaisseur – intelligible et sensible à la fois ? Autrement dit, comment se travaille la matière de l’image et celle du son : quel cadrage, quels objets et quel champ (et hors-champ) ; quelles textures et quelles couleurs ; quels mouvements ; quels environnements sonores et en interaction avec quelles images (ou absences d’images) ?

Au cœur de ce questionnement sur la manière dont « le sens vient à l’image »5, se trouve la question de la prise en charge par l’art du travail de conceptualisation. Comment les cadres théoriques – les analyses structurelles  notamment – s’articulent au cadre empirique d’analyse et à la dimension sensible du monde social (aux sensations et aux émotions notamment) pour interpréter et rendre compte de la réalité étudiée ? Et comment l’objet artistique, le plus souvent visuel, s’articule ici au texte écrit ? D’ailleurs, ce dernier est-il indispensable ? Comment, en effet, l’administration de la preuve est-elle envisagée ?

Partager et discuter

Dans quel sens le processus créatif infléchit la relation d’enquête – la place relative des un·e·s et des autres, et inversement ? Comment les enquêté·e·s s’impliquent ou non au sein du dispositif de recherche-création ? Comment cette relation se négocie-t-elle, se construit-elle ? Et dans quelle mesure influence-t-elle la forme du rendu, à l’articulation des exigences scientifiques et artistiques, mais aussi éthiques (avec la question de la sortie de l’anonymat notamment). Les terrains dits « sensibles » confèrent à cette question toute son acuité, notamment ceux marqués par l’intervention des outils numériques6.

Les articles proposés pourront aussi consacrer une partie de la réflexion aux choix opérés quant aux modalités de monstration et d’exposition des résultats de l’enquête. Ces modalités questionnent notamment la façon dont le désir d’ouverture de la recherche à un plus large public (certains parleront de « vulgarisation scientifique » dans ce cadre) conditionnent et influencent les choix de dispositifs. La question de la diffusion interroge aussi la manière dont ce partage de la recherche sous forme créative avec « ceux et celles qui sont concerné·e·s » prolonge la réflexivité de la recherche et parfois, ouvre de nouvelles pistes de connaissance (Rouch et Morin, Chronique d’un été, 1961).

L’appel cible les recherches en sciences sociales, y compris celles qui se déploient dans des laboratoires d’art, d’autant que ces travaux tendent à être parfois « noyés» dans les approches dominantes de la recherche-création en art (où l’art lui-même est constitué en objet de recherche principal).

 

Comme pour tous les autres numéros, nous accorderons une place importante à la présentation des matériaux de terrain (images, sons, vidéos, etc.) qui sont considérés comme des éléments centraux de la réflexivité méthodologique attendue dans les articles. En tant que revue en ligne, la Revue Française des Méthodes Visuelles offre des possibilités de mettre en valeur ces données audiovisuelles. Extraits de carnets de bord et notes de terrain peuvent ainsi se mêler à l’article, ainsi que des images illustrant les différentes étapes de création et d’exposition de l’œuvre (croquis, prises de vue de repérage, étape d’installation d’exposition par exemple).

 

1 https://www.cirec.online/

2 Deux ouvrages en particulier font figures d’exception : celui de Boris Grésillon Pour une [hybridation entre arts et sciences sociales (CNRS Editions, 2020) et l’ouvrage collectif L’urbain par l’image. Collaborations entre arts visuels et sciences sociales (Créaphis, 2020). Auxquels il convient d’ajouter au moins : les Actes des rencontres du « Réseau National Pratiques audiovisuelles en sciences sociales » qui prennent aujourd’hui les allures d’actes inauguraux (1987, 1988, 1989) ; les réflexions ouvertes par Christian Ruby (2011) ; la revue Science and Video, des écritures multimédia en sciences humaines, la Revue Française des Méthodes Visuelles et la revue Communications (en particulier le n°80 « Filmer Chercher » en 2006) qui font dialoguer les disciplines à un même endroit ; la revue thématique et interdisciplinaire Images du Travail, Travail des Images.

3 Sans pour autant appeler à la dissolution des unes ou des autres : une inter- ou une pluridisciplinarité en somme, plutôt qu’une trans- ou une postdisciplinarité (Prévot et Rioual, 2018).

4 Notre réflexion s’inscrit ici dans la lignée de différents travaux qui interrogent tous la manière dont l’art et notamment l’image structure la pensée : dans les sciences sociales, citons ici Luc De Heusch (1962), Monique Haicault (2010), Carl Havelange (2014) et le couple Joyce Sebag/Jean-Pierre Durand (2015 et 2020) ; en philosophie, citons Georges Didi-Huberman (2003), Jacques Rancière (1993) et Roland Barthes (1964). Ajoutons que l’histoire de la peinture et des théories du cinéma sont également traversées par cette question du « penser par l’image » (Cuny, Färber et Jarrigeon, 2020).

5 Expression de Roland Barthes (1964), notamment reprise par Monique Haicault (2010) et par Jean-Pierre Durand et Joyce Sebag (2015).

6 On pense par exemple aux nombreuses formes de création et notamment de films réalisés depuis le dit « printemps arabe » à partir d’images glanées dans les réseaux sociaux : la méthode étant de collecter des archives et documents visuels, les traiter, les organiser, les monter et les penser sous forme sensible et réflexive. Nous n’en citerons qu’un ici : my makhzen and me de Nadir Bouhmouch. On pense en outre à l’émergence des « ethnographies hors-sol » dans des contextes autoritaires (Makaremi, ERC « off-site »).

Calendrier

  • 15 novembre 2021 : envoi des propositions d’articles sous forme d’un résumé de 1500 à 3000 signes espaces compris. Les propositions devront présenter clairement l’objet étudié, la problématique, le cadrage théorique, la méthodologie, les matériaux exploités et les modalités de leur production et de leur analyse, ainsi que la manière dont elles s’inscrivent dans l’appel. Elles devront être envoyées au plus tard le 15 novembre 2021 par courriel à l’adresse suivante : appel.rfmv7@gmail.com
  • 15 janvier 2022 : les auteur.es seront informé.e.s de la sélection ou non de leurs propositions.
  • 15 Avril 2022 : réception des articles complets pour relecture en double aveugle.

Les textes devront respectés les normes d’écriture et de présentation de la revue qui sont précisées dans le document « Consignes aux auteurs » accessible via ce lien : https://rfmv.fr/ecrire-dans-la-revue/