Médiations - Informations - Communication - Arts
You are currently viewing La sémiotique visuelle et ses écritures – Atelier 2/2021

Date/heure
12/02/2021
14 h 00 - 17 h 30

Catégories


Atelier de sémiotique du MICA (2020-2021)

Pour participer, merci de vous inscrire auprès d’Anne Beyaert-Geslin pour obtenir les informations de connexion.

Télécharger le programme complet des ateliers.

Atelier 2/2021 : 12 février

  • Marion Colas-Blaise, Université du Luxembourg : « Cy Twombly, ou comment « écrire » le dessin et la peinture ».
  • Gaëlle Louvencourt, Université Bordeaux Montaigne : « Une construction picturale de l’écriture, cas chez les writers ».
  • Annick Monseigne, Université Bordeaux Montaigne : « Le pouvoir divinatoire du cartographe ».

L’atelier se réunit le vendredi après-midi (14h à 17h 30). En raison des conditions sanitaires, l’atelier se déroulera en ligne.

Retrouver le détail des interventions prévues après la présentation de l’atelier.

La sémiotique visuelle et ses écritures

La sémiotique visuelle n’a cessé d’interroger son appellation afin de stabiliser son épistémologie et ses méthodes. Est-il plus pertinent d’évoquer une sémiotique visuelle en s’appuyant sur la modalité vers laquelle convergent toutes les informations sensibles (mais il faudrait alors envisager une sémiotique auditive, gustative, olfactive…) ou une sémiotique de l’image (mais qu’est-ce qu’une image ? est-elle seulement matérielle ou également mentale ? relève-t-elle seulement de l’expérience ou également de l’existence ?) ? Elle a cherché le niveau de pertinence le plus adéquat, qui peut être le genre (une sémiotique du paysage, du portrait [Beyaert-Geslin 2017], etc), le support ou médium avec une focalisation particulière sur la photographie (Barthes 1980 ; Floch 1986 ; Schaeffer 1987 : Basso Fossali et Dondero 2011), le statut (image artistique, religieuse, scientifique, etc). Cette catégorisation n’exclut pas l’intégration de l’image à des domaines qui la confrontent à d’autres objets (la sculpture ou l’installation pour la sémiotique de l’art) ou l’offrent à des discours syncrétiques (la publicité, par exemple). Récemment, elle a été abordée sous l’angle du geste énonciatif et rapportée au numérique (Basso Fossali, Colas-Blaise, Dondero et Monticelli 2017).

L’atelier se consacre cette année à la sémiotique visuelle et propose de questionner ces catégorisations et découpages disciplinaires pour évaluer leur pertinence. Il met plus particulièrement en avant la notion d’écriture partagée par les discours verbal et plastique. L’écriture qui renvoie à la ligne (Ingold 2011), à la trace (Galinon-Mélénec 2015 et 2017) et à l’empreinte (Fontanille 2006) est plus exactement une empreinte directe (Schaefer 1987) au sens où elle implique le corps lui-même. A la différence du geste qui se rattache évasivement au corps et souligne sa spatialisation, l’écriture renvoie essentiellement à la main qui, en assumant l’expression de soi, s’exprime et s’expose. Porter l’attention sur l’écriture manuelle (la formule est presque pléonastique) et non lumineuse ou numérique suppose de solliciter diverses disciplines à côté de la sémiotique telles que les sciences de l’information et de la communication, la linguistique et l’anthropologie, mais aussi les écrits des plasticiens (Dubuffet 1973 ; Matisse 1972, par exemple) et des artistes (Boulez 1989) qui « racontent » la pratique « de l’intérieur ».

En nous autorisant à faire le lien entre les écritures de l’art pariétal et les graffitis d’aujourd’hui qui sont, les unes comme les autres, des expressions de soi, cet éloge de la main assume la contemporanéité définie par Agamben (2008 : 11) comme une « singulière relation avec son propre temps, auquel on adhère tout en prenant ses distances ». L’atelier de sémiotique veut ainsi observer les images à nouveaux frais, « rebattre les cartes » épistémologiques de la sémiotique visuelle et poser, par ce premier échange, les bases du programme Graffcity, appropriations urbaines imagées financé par la Région Nouvelle-Aquitaine et soutenu par la Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, qui a débuté en 2020.

 

Détail des interventions

  • Marion Colas-Blaise (Université du Luxembourg) – Cy Twombly, ou comment « écrire » le dessin et la peinture.

Qu’est-ce donc que l’écriture, du moins dans une perspective qui fonde le caractère glossique de l’écriture sur une relative autonomie par rapport à la langue orale (Klinkenberg 2018) ? Un apport sur un support grâce à un geste d’inscription, pourra-t-on dire en première approximation. Une interaction projective, ajoutera-t-on, entre une prothèse de la main, qui peut être un outil et/ou une matière fluide ou compacte (craie, encre, peinture, sang…), et un support matériel, sur lequel des pressions s’exercent, en fonction des besoins de ce dernier et des déterminations du support formel. L’écriture ainsi considérée conjugue la linéarité avec la spatialité, confirmant ainsi sa provenance à partir de l’image. Ce sont les modalités du faire image de l’écriture que nous étudierons ici, en envisageant également, comme en retour, le devenir écriture de l’image.

Dans ce cas, comment « écrire le dessin et la peinture » et comment « peindre l’écriture » ou ? Quelles en sont les conséquences, tant pour l’écriture que pour la peinture, qui ne sortent pas indemnes d’une transformation qui tient de la conversion ? Si telles sont quelques-unes des questions nodales à la base de cette étude de tableaux de Cy Twombly, il s’agit, plus précisément, de vérifier l’hypothèse d’une possible relecture des opérations méréologiques (Dondero, 2019) à la base de la constitution d’un énoncé scripto-iconique global (Klinkenberg, 2008) à la lumière (i) des passages, des traversées et des translations dont sont responsables différents actants « tensionnels », (ii) du processus de la prise de la forme, étudiée à partir de sa genèse et (iii) d’une esthétique de l’informe.

Nous nous proposons ainsi d’approcher certains tableaux de Twombly d’un triple point de vue. D’abord, il s’agira de s’interroger sur les conditions auxquelles des accords et des désaccords s’établissent dans les tableaux de Twombly entre le mot écrit et la figure iconique et donnent lieu à une scripturalisation de la figure iconique et à une iconisation du mot. Il importera de questionner la notion de syncrétisme et de la mettre en résonance avec une forme de totalisation qui joue sur les frontières et le franchissement des frontières. Ainsi, afin de dégager une syntaxe possible, nous essayerons de dégager – en fonction de l’ajustement du regard – un rapport d’interpénétration réciproque, qui renvoie à un actant transitionnel, un rapport de complémentarité, qui suppose un actant fluent, un rapport d’entre-possession, qui témoigne d’un actant distributif, et un rapport d’englobement, qui correspond à un actant participatif.

Ensuite, l’attention se portera sur la genèse de la forme visuelle du mot peint, des empreintes et des traces (Fontanille, 2004, 2011 ; Galinon-Mélénec 2015, 2017 ; Jeanneret 2019) aux lettres chargées d’une fonction différentielle. L’écriture comme expression liminaire est ce traçage et ce tracé qui donnent vie à la ligne, qui l’animent et la modulent, que la ligne soit docile ou rebelle (Ingold 2011-2013). Nous chercherons à établir les étapes du devenir (une) forme (Bordron, 2019), de la formation et de la dé-formation Plus particulièrement, il faudra développer l’idée de la figurativisation du plastique (Basso Fossali, 2004) à partir du geste de création.

Enfin, nous nous intéresserons au griffonnage et au gribouillis, là où s’opère une indistinction entre écriture et peinture, là où l’informe (Parret, 2003) le dispute à la raison graphique, à l’ordre graphique selon Jack Goody (1979), à cette « technologie de l’intellect » que Jean-Marie Privat appelle « technographies du langage ». Il s’agira de se demander, plus particulièrement, en quoi ce griffonnage ou ce gribouillis renouvellent profondément les références éminemment culturelles dont Twombly parsème ses œuvres. « Aventures de la peinture » au nom du monde (Sollers, 2001 [1987]), l’épaisseur historique et culturelle, mais aussi l’ « infini », la réouverture et le recommencement, entre surimpression, effacement et premier jet : retrouver l’événement pictural ou scriptural, est-ce renouer avec l’enfance (Barthes, 1982) ?

Bibliographie
  • Barthes, Roland, 1982, L’obvie et l’obtus, Essais critiques III, Paris, Seuil
  • Basso Fossali, Pierluigi, 2004, « Protonarratività e lettura figurativa dell’enunciazione plastica », Versus , 98-99, p. 163-190.
  • Bordron, Jean-François, 2019, « Dynamiques des images », Signata, 10.
    En ligne : http://journals.openedition.org/signata/2267.
  • Dondero, Maria Giulia, 2006, « Quand l’écriture devient texture de l’image » dans M. G. Dondero et Novello-Paglianti (dirs), Syncrétismes. L’écriture dans l’image, Visible, 22, p. 11-32.
  • Dondero Maria Giulia, 2019, « Les discours syncrétiques. Sur les rapports entre totalité et parties », dans S. Badir, M. G. Dondero et F. Provenzano (dirs), Les Discours syncrétiques. Poésie visuelle, bande dessinée, graffitis, Liège, Presses universitaires de Liège, p. 13-29.
  • Fontanille, Jacques, 2004, Soma et séma, figures du corps, Paris, Maisonneuve et Larose.
  • Fontanille, Jacques, 2011, Corps et sens, Paris, PUF.
  • Galinon-Mélénec, Béatrice, Zitni Sami et Liénard, Fabien (éd.), 2015, L’homme-trace. Inscriptions corporelles et techniques, Paris, CNRS éditions.
  • Galinon-Mélénec, Béatrice (éd.), 2017, L’homme-trace. Des traces du corps au corps-trace, Paris, CNRS éditions.
  • Goody, Jack, 1979 [1977], La Raison graphique. La domestication de la pensée sauvage, trad. de l’anglais par J. Bazin et A. Bensa, Paris, Éd. de Minuit.
  • Ingold, Tim, 2011-2013, Une brève histoire des lignes, trad. S. Renaut, Zones sensibles.
  • Jeanneret, Yves, 2019, La fabrique de la trace, Londres, ISTE éditions.
  • Klinkenberg, Jean-Marie, 2008, « La relation texte-image. Essai de grammaire générale », Bulletin de la Classe des Lettres, Académie royale de Belgique , 6e série, t. XIX, p. 21-79.
  • Parret, Herman, 2003, « Métamorphoses de la forme : le difforme, l’anti-forme, l’informe », dans F. Parouty-David et C. Zilberberg (dirs), Sémiotique et esthétique, Limoges, Pulim, p. 451-467.
  • Privat, Jean-Marie, 2018, « Sur La Raison graphique. La domestication de la pensée sauvage de Jack Goody », Questions de communication, no 33, p. 299-323.
    En ligne : https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.12581
  • Sollers, Philippe, 2001 [1987], Éloge de l’infini, Paris, Gallimard.
  • Annick Monseigne (Chercheure en SIC au MICA, Université Bordeaux Montaigne) – Le pouvoir divinatoire du cartographe

Cette présentation fait suite à une précédente intervention réalisée dans le cadre de l’atelier de sémiotique du MICA (2018-2019). A partir d’une cartographie de la littérature scientifique sur les communs (au sens large du terme) réalisée dans le cadre d’une HDR, cette communication proposait d’ouvrir notre boîte à outil cartographique qui permettait de recenser des ressources, de dénombrer des acteurs et de repérer leurs disciplines et laboratoires de rattachement. Un arrêt sur quelques clichés pris depuis la discipline des SIC proposait d’évaluer les liens entre SIC et sémiotique autour de la question des communs.

Aujourd’hui, nous revenons sur ce travail cartographique avec la volonté de prendre le temps de nous interroger sur la figuration cartographique, ses opérations discursives, ses expressions graphiques (Bertin, 1967) et le rôle du cartographe. Nous accompagne dans ce travail réflexif, Emmanuël Souchier (2013) et ses écrits sur la cartographie, le cartographe, et son pouvoir interprétatif. Une façon également de nous questionner sur le bien-fondé de nos interprétations et la légitimité de notre statut de « dominant interprétatif » (Galinon-Mélénec, 2015) qui doit être interrogé en termes de processus de communication sous-jacents à l’acte de cartographier. Emerge alors la question de la trace. Et si la mise en visibilité de notre carte par le regard divin du cartographe portait en elle, selon la terminologie de Béatrice Galinon-Mélénec, les « signes-traces » (2011) de son contexte de production, individuel et sociétal ?

Cette posture de doute épistémologique nous a incitée à poursuivre avec l’analyse de « l’énonciation dans l’image » en investissant la théorie de l’énonciation visuelle (Dondero, Beyaert-Geslin, Moutat, 2017). Nous interrogeons alors le cadre énonciatif et les systèmes de signification qui conditionnent « la geste intellectuelle » et l’interprétation de sa production symbolique. Harponné par les données visualisées, immergé dans l’image puis projeté dans sa part d’imaginaire, nous repérons que le destinataire du message trouve ainsi un sens, à la fois par la saisie perceptive du visible… et de l’invisible (Beyaert-Geslin, 2020).