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16/09/2024

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Méthodes innovantes de recherche en communication : nouvelles pratiques, nouveaux enjeux

Communication & Organisation N°67 - Juin 2025

Coordination du numéro :
• Nayra Vacaflor, Université Bordeaux Montaigne, Laboratoire MICA
• Raphaëlle Bats, Urfist de Bordeaux, Université de Bordeaux, Laboratoire Centre Emile Durkheim
• Camelia Cusnir, Université de Bucarest, Faculté de Journalisme et des Sciences de la Communication, Laboratoire SPARTA


En 1996, le numéro 10 de la revue Communication & Organisations, intitulé “La recherche en communication” s’intéressait à la méthode, aux méthodes et aux méthodologies de la recherche en communication des organisations. Presque 30 ans après, le numéro 67 de la revue entend prendre le relais en proposant des contributions sur les méthodes innovantes de recherche en communication. Les approches méthodologiques « classiques » de la recherche dans les sciences humaines et sociales, à savoir l’observation, l’enquête par entretiens ou par questionnaire, ont connu de nombreuses transformations : nouvelles façons d’interroger, de noter, de garder des traces de l’observation, de compiler et traiter les données, de publier, comme de disséminer les résultats. Avec le théâtre, le slam, la fiction et bien d’autres outils, les méthodes de définition des questions de recherche, de recueil de données, d’analyse des données et de visualisation se sont diversifiées : elles tentent de saisir au plus près les situations et transformations politiques, sociales, économiques et techniques actuelles. Ces méthodologies, qui renouvellent la collecte de données, mais aussi la manière de poser les problèmes et de restituer des résultats, peuvent être dites innovantes. Par innovantes, on entend ici qu’elles sont non seulement nouvelles mais aussi qu’elles sont encore considérées comme telles, posant en toile de fond un questionnement sur leur possible déficit de validité et scientificité. De fait, les méthodes qualitatives en sciences sociales faisaient encore, il y a moins de dix ans, l’objet de discussions sur leur légitimité et ce notamment dans le contexte du développement des outils numériques de captation et de traitement (Albert & Couture, 2013, Ruano-Borbalan, 2014, ACFAS, 2014). Alors, qu’en est-il aujourd’hui de ces nouvelles méthodes ? Utilisent-elles simplement de nouvelles techniques ? Ou sont-elles une simple adaptation des méthodes classiques (Travers, 2009, Wiles, Crow et Pain, 2011) ? Ou sont-elles une nouvelle manière de faire de la recherche, qu’il convient d’étudier en soulevant les enjeux épistémologiques et éthiques ?

Ces questions relatives aux nouveaux contextes méthodologiques de production des savoirs demandent à prendre en compte la grande variété des outils expérimentés. En témoigne l’utilisation des pratiques populaires comme les jeux sérieux (Alvarez, 2023), les légos (Gauntlett, 2018), le crochet (Kara, 2020), les arts (Pink, Fors, Lanzeni et al., 2022), les escape games (Vacaflor & Boudokhane, 2022) ou encore le slam (Bats & Garnier, 2024), etc.). La visée transformatrice de certaines pratiques, tout comme les nouvelles formes de connaissance produites, nécessitent également d’être interrogées. Des sciences participatives (Euzen & Bordet, 2008, Debos et al., 2011) à la spéculation narrative (Bourgeron, 2021), une nouvelle attention aux subjectivités est aussi explorée à toutes les étapes du processus scientifique. Ainsi, dans l'ethnographie organisationnelle, le shadowing combine à la fois une expérience partagée de la recherche et de l’observation entre le chercheur et l’observé, et une attention forte aux paroles et aux récits des principaux concernés pour mieux saisir les pratiques de travail ou la nature dynamique des organisations (Groleau, 2013, Vasquez, 2013, Raulet-Croset et al., 2020). Les récits y sont utilisés afin d’explorer les émotions des personnes observées sur le terrain autant que du chercheur (Dechezelles & Traïni, 2018, Foli, 2018, Vasquez, 2020, Christophe, Jojczyk & Lambotte, 2021) au point de parler d’un “tournant affectif” dans les études en communication organisationnelle (Dumas & Juchat, 2016, Dumas, Lépine, & Martin-Juchat, 2022). En écho, le théâtre-forum est une illustration des outils sensibles utilisés aussi bien pour collecter des données, encourager la recherche-action ou restituer des résultats (Lewandovia & Molina Valdivia, 2022).

Le domaine de la communication des organisations, n’échappe pas à ce renouveau, signe du dynamisme de notre orientation : vivante, créative, perméable aux évolutions des sciences en général et des sciences humaines et sociales en particulier. Face à l'évolution constante des organisations dans un environnement de plus en plus complexe et mouvant, les chercheurs travaillent continuellement à développer des approches méthodologiques mieux adaptées pour analyser les terrains d’exploration (Cornelissen, 2004). Si la communication des organisations est elle-même constitutive (Bouillon & Loneux, 2021), co-active (Down, 1988) ou encore allagmatique (Carayol, 2004), il semble attendu que les méthodes qui observent et analysent ces phénomènes doivent aussi évoluer. Les travaux existants fournissent des exemples de méthodes innovantes tout au long du processus de recherche, allant de la définition du cadre de recherche à la conception, à la collecte, à l'analyse et à la restitution des données (Elsbach & Kramer, 2016, Morand et al., 2019, Morand, 2020, Grosjean et al., 2021). Certaines recherches encouragent l'innovation méthodologique à travers de nouvelles questions de recherche, des méthodes mixtes novatrices et l'exploration de sources de données non conventionnelles, tels que les récits, les photographies et les vidéos (Meyer, 2013, Grosjean, 2013), les artefacts organisationnels (Paquin & Noury, 2020) et les dynamiques réflexives (Vezy & Brummans, 2021). Ces avancées se reflètent également dans de nouveaux modes de visualisation des données et de présentation des recherches (Eisenhardt & Graebner, 2007), offrant des pistes pour identifier les domaines propices à l'innovation. Le dernier colloque du GER Org&Co (Sens, sensible et insensé dans les communications organisationnelles, Montpellier, avril 2024) a également été l’occasion de faire état d’un renouvellement des méthodes, avec des projets utilisant le shadowing, le théâtre ou le travail sur le corps, pour accéder à des phénomènes difficilement perceptibles à travers des méthodologies classiques.

Le numéro 67 de la revue Communication & organisation propose de rendre compte de ces pratiques, de leurs évolutions, des questionnements associés et des enjeux qu’elles soulèvent. Nous appelons pour ce dossier des articles qui analysent, présentent, confirment les enjeux d’attention à ces nouvelles pratiques de recherche pour la communication des organisations et au-delà. Nous attendons des propositions à la fois théoriques ou conceptuelles et des retours réflexifs sur expérimentations, qui pourront s’articuler autour des trois grandes questions, mais toutes contributions pouvant les compléter ou ouvrir d’autres pistes de réflexion sont bienvenues :

  • Quelles nouvelles méthodes de recherche ?
  • Quelles conditions d’émergence de ces nouvelles méthodologies ?
  • Quelles conditions d’énonciation de leur pertinence et de leur évaluation ?

De nouvelles méthodes de recherche

Les diverses méthodologies évoquées précédemment mobilisent des outils variés. Certains relèvent du développement de nouvelles technologies, d’autres d’un “bricolage méthodologique” (Robert & Lefebvre, 2023) composé avec les objets du quotidien des observés et des chercheurs. Ce travail sur les techniques mobilise et nécessite des échanges constructifs entre le chercheur et les enquêtés (Le Moënne, Gallot, 2015) et oriente ces recherches du côté des pratiques participatives. Celles-ci invitent à repenser la méthodologie en fonction du niveau de participation aux différentes étapes du processus de recherche et d'intervention sociale (Wiggins-Crowston, 2011, Haklay, 2018). Par ailleurs, le renouvellement de la relation entre arts et sciences, entre création conjointe et médiation scientifique, bouscule les codes à la fois de la méthode et de l’expression des résultats et fait naître un “nouvel archipel” à explorer (Ruby, 2011) et de nouvelles catégories à définir ou à dépasser (Maffei & al., 2023). L’imagination et la narration se voient ainsi réinvesties positivement, aussi bien comme posture du scientifique que comme outil de fabrication de savoirs (Haraway, 2009, 2020). De la recherche-création à la recherche participative ou à la recherche-intervention (La Broise, Gardère & Lambotte, 2022), en passant par la narration spéculative, dans quelle mesure ces méthodologies se diversifient et nous invitent à questionner ce qu’elles transforment et la manière dont elles permettent de toucher des objets et des sujets qui échappent aux méthodes précédemment utilisées ?

Les conditions d’émergence des nouvelles méthodologies

Ces nouvelles pratiques de recherche soulèvent des questions fondamentales au sein de la sociologie des sciences. Les dynamiques internes des communautés scientifiques, y compris les normes professionnelles, les réseaux de collaboration, les processus de validation et les luttes pour la reconnaissance intellectuelle, mettent en avant le concept de "collectif" tel que défini par Michel Callon en 1989 : “un ensemble d'acteurs associés par une même infrastructure technique et cognitive”. Ces collectifs scientifiques, dans leur quête d'innovation méthodologique, fonctionnent souvent comme des systèmes complexes où des tensions émergent entre la préservation des pratiques établies et l'exploration de nouvelles voies. Les chercheurs naviguent dans cet espace en combinant des stratégies de conformité aux attentes de leurs pairs avec des initiatives audacieuses visant à repousser les frontières de la connaissance. Ainsi, la compréhension de l'innovation méthodologique ou des changements de paradigme (Kuhn, 1962) dans le domaine de la communication scientifique nécessite une analyse approfondie des interactions sociales, des dynamiques de pouvoir et des processus de construction de consensus au sein de ces collectifs scientifiques. On se demandera ainsi ce qui, dans l’évolution actuelle de la recherche encourage, voire contraint, au développement de formes innovantes et créatives de recueil de données, et dans quelle mesure les évolutions institutionnelles, disciplinaires, académiques de la recherche y jouent un rôle ?

Les conditions d’énonciation de la pertinence et de l’évaluation de ces méthodes

Au cœur du développement de ces nouvelles pratiques et méthodes se pose celle cruciale de leur validité et de leur reconnaissance. Or, ces méthodologies innovantes font l’objet de doutes, voire de suspicions sur leur qualité. Ainsi, pour exemple, on ne peut que constater la prolifération d’articles liés à l’assurance de la qualité des données dans les sciences participatives face à l’angle mort de la recherche sur l’impact de ces pratiques sur la communication scientifique (Réseau Urfist, 2023). De même l’incompréhension sur les méthodes fictionnelles de chercheuses comme Haraway ou Despret, alors que le concept de fabulation spéculative a bientôt 30 ans (Bourgeron, 2021). On se demandera donc, dans un contexte où l’évaluation de la recherche est, certes critiquée (Gingras, 2015, Conseil Union Européen, 2022), mais toujours centrale dans la reconnaissance des parcours, dans l’évolution des carrières et dans l’obtention des financements, si ces nouveaux protocoles de recherche appellent à des transformations de l’évaluation de la recherche, soit en termes de comptabilisation d’une production scientifique plus diversifiée, soit en termes de reconnaissance des pratiques innovantes ?

Ce dossier, destiné à la communauté des chercheurs en communication organisationnelle, fournira des orientations précieuses à l’ensemble des chercheurs qui veulent “innover”.

Calendrier et normes de composition

Calendrier

  • Envoi des propositions sous forme de résumés : 16 septembre 2024
  • Retour aux auteurs de la sélection des propositions 30 septembre 2024
  • Remise de l’article intégral : 16 décembre 2024
  • Retour aux auteurs de l’évaluation par le comité de lecture :17 février 2025
  • Retour des articles définitifs (après évaluation) : 17 mars 2025

Consignes de rédaction des propositions (résumés)

  • 6000 caractères, espaces compris
  • Bibliographie non comptabilisée dans le nombre de caractères
  • Sur une page de garde : titre de la proposition, prénom et nom de l’auteur, université, laboratoire, adresse électronique, cinq mots-clés
  • Le résumé doit permettre de bien identifier la problématisation, le cadre théorique et conceptuel, la méthode, et les principaux résultats.
  • Les propositions seront déposées sur la plateforme de soumission de la revue : https://revues.u-bordeaux-montaigne.fr/cometorg/index

Consignes de rédaction des articles définitifs

À propos des coordinateurs du numéro

Nayra Vacaflor est Maîtresse de conférences rattachée au laboratoire MICA de l’Université Bordeaux Montaigne. Elle travaille actuellement sur l’usage de l’escape game comme méthode créative de recherche. Elle accompagne plusieurs projets innovants de recherche en Amérique latine.

Raphaëlle Bats est co-responsable de l’Urfist de Bordeaux, et membre associée du Centre Emile Durkheim. Ses recherches actuelles portent sur les conditions de mise en dialogue de l’information scientifique et de l’information profane sur les territoires en transition climatique.

Camélia Cusnir est enseignante-chercheuse à la Faculté de Journalisme et des Sciences de la Communication de l’Université de Bucarest, Laboratoire SPARTA. Ses dernières recherches sont centrées sur l’impact de l’Intelligence artificielle sur les professions de la communication.