Date/heure
20/01/2025
Catégories
Art, science et biodiversité sous-marine
ASTASA Année 5
La revue ASTASA – Arts, Sciences, Technologies. Actualités scientifique de l’art
Cette planète que nous appelons Terre et que nous devrions probablement renommer Océan souffre de bien des maux. Les dérèglements des mers et des océans comptent parmi les plus graves. L’océan, comme le souligne le philosophe de la perception Roberto Casati, « oscille métaphysiquement entre le statut de pur lieu et celui de matière en mouvement1 » ; il possède une puissance inégalée dans l’imaginaire des conteurs, écrivains, peintres et autres rêveurs. Mais aujourd’hui sa force et ses mystères sont en danger. L’écosystème marin dans son entier est en passe d’être détruit alors que règne un déni quasi généralisé sur l’urgence à laquelle nous sommes confrontés. La dégradation de la biodiversité marine, qui joue un rôle crucial dans la régulation du climat, la production d’oxygène et la fourniture de nourriture pour de nombreuses populations, est devenue un indicateur incontournable.
D’ici à 2050, cet effondrement de la biodiversité marine, interférence directe ou indirecte de l’activité humaine, menace la disparition des récifs coralliens, l’amenuisement des ressources des systèmes littoraux, notamment les mangroves et les herbiers de posidonie. Depuis plusieurs siècles, et de façon exponentielle ces 70 dernières années, trop d’espèces ont disparu des fonds marins, des centaines sont en voie de disparition. Ces extinctions ne concernent pas seulement le monde animal et végétal, elles impactent les conditions d’existence de l’humain (migration des populations face à la montée des eaux ; conséquences sur les secteurs économiques, sociaux, environnementaux). L’ONU, l’Europe, par exemple, ont modifié leurs approches : là où les directives préconisaient de ne rien toucher, désormais « il faut réparer ». De nombreuses associations œuvrent pour informer le public et accompagner des changements de comportement. Mais comment le toucher profondément et durablement ? Outre notre dépendance à cette biodiversité, elle est aussi source d’innovation et de solutions durables notamment grâce au biomimétisme.
L’art peut faire appel à la sensibilité du public en deçà de tout raisonnement, transmettre d’humain à humain. Nombre de projets s’intéressent à la préservation de la biodiversité marine par différentes stratégies artistiques ou modalités créatives, qui chacune font sens : par le recyclage (Pascal Frieh, Gilles Cenazandotti, Kirsty Elson), par des propositions de paysages immergés ou immersifs (Initium Maris de Nicolas Floc’h, Digital Abysses de Miguel Chevalier), des déploiements technologiques imaginaires inquiétants, fascinants ou drôles (Herbarius 2059 de Miguel Chevalier et Jean-Pierre Balpe, Flora incognita de Vincent Fournier ; Anatomie comparée des espèces imaginaires de Jean-Sébastien Steyer et Arnaud Rafaelian, les arthropodes du bestiaire utopique d’Anima (ex) Musica de Mathieu Desailly, Vincent Gadras et David Chalmin ou encore l’exploration des abysses par Miquel Barceló2). Il faut citer également la cinquantaine d’artistes qui depuis plus de 20 ans ont été associés aux missions de la Fondation Tara Océan3, née en 2003 pour « soutenir la connaissance de l’Océan tout en renforçant la prise de conscience de son importance vitale au quotidien auprès des décideurs, du public et des plus jeunes ». Parmi eux4, Yann Bagot5, dont les dessins sont nés des paysages traversés par la goélette Tara et des travaux scientifiques réalisés à son bord, ou encore l’artiste-chercheure Laure Winants, dont le projet en cours est de « capturer l’impact des polluants sur le littoral par le biais de la lumière du microscope et par une technique photographique expérimentale et interactive : les photogrammes/chimigrammes ».
De nombreuses manifestations consacrent désormais leurs thématiques à l’océan, parmi lesquelles, récemment : Ocean-Space-Ocean, du projet More-than-Planet dans le cadre d’ISEA Paris 20236, le festival AnthropoScénes7 d’Evreux en 2024. L’art a un rôle crucial à jouer dans notre appréhension du monde et dans son devenir. Le sensible qu’il met en jeu n’est pas désinvesti de la gravité de conscience des problèmes. La démarche qu’il implique se joue au-delà du simple divertissement et des heureux égarements dans les dérives de l’imagination et se fonde sur des données scientifiques qui attestent de la situation de péril du vivant du monde sous-marin. En parallèle avec les projets de recherche Répertoire Précieux des Formes (RPF, 2024) et VIV’Océan (2025)8, le présent appel à contributions interroge les articulations entre art, science et biodiversité sous-marine.
Comment l’art peut-il sensibiliser à la question du vivant des océans, motiver son respect, inciter à changer les comportements ? Sans renoncer à sa valeur artistique, comment parvient-il à articuler les significations engagées que l’artiste souhaite transmettre, mieux, à les faire comprendre, intimement ? Quelle part d’imaginaire nourrit-il ? À quels mythes peut-il faire appel ?
L’étude de ces questions devra se fonder sur des exemples d’œuvres précis, référencés, analysés.
Les exemples de projets arts-sciences, en particulier, sont bienvenus. Ils pourront permettre de repenser l’articulation entre les approches scientifiques pointues (biologie, paléontologie, géologie, géographie, mais aussi des sciences humaines, anthropologie, philosophie, sciences de l’information et de la communication, par exemple), et les propositions artistiques. Quelle ouverture l’art offre-t-il aux sciences du vivant ?
De telles analyses pluridisciplinaires doivent aussi tenir compte de nos sociétés numériques. En quoi les nouvelles technologies ménagent-elles une voie spécifique de traitement de l’étude du vivant comme de la réponse artistique aux problématiques soulevées ? Les nouvelles esthétiques modifient-elles l’appréhension et l’interprétation du sensible ? Complexifient-elles les défis de notre rapport au vivant ?
Enfin, la double question de l’adresse au public large et de l’efficacité politique reste une piste à interroger. Quelles sont les passerelles possibles entre production scientifique, création artistique et vulgarisation ? En quoi certaines œuvres ou projets arts-sciences peuvent-ils guider les politiques publiques et renvoyer à nos inestimables biodiversités marines ?
Modalités de proposition
Les personnes souhaitant soumettre un article (de 10 000 à 30 000 signes) sont invitées à envoyer une proposition comportant un résumé (de 250 mots), une bibliographie indicative et une courte biographie (de 150 mots), conjointement à cecile.croce@iut.u-bordeaux-montaigne.fr et à mldesjardins@artshebdomedias.com
Les propositions peuvent être soumises jusqu’au 20 janvier 2025.
Une réponse sera rapidement donnée ; la dates de remise des textes est fixée au 20 février 2024, pour une publication à compter de mars 2025.
8 Depuis l’été 2023, l’Unité de recherche MICA (Université Bordeaux Montaigne) et l’association ADE Méditerranée ont entrepris un projet au long cours de sensibilisation esthétique à la préservation de la biodiversité sous-marine par la médiation artistique et la médiatisation de l’information, donnant lieu à un colloque (Forum Menton, mars 2024) et engageant un travail de création artistique par des binômes artiste-scientifique, ainsi qu’un travail avec les scolaires et à destination du monde socio-économique et politique. En 2025, le projet Répertoire Précieux des Formes (RPF) est prolongé et amplifié par le projet VIV’Océan (Manifestation scientifique et artistique, Bordeaux). Voir Boucherifi, Alexandra (2024), « Des formes pour que vive le précieux océan », restitution du Forum RPF Menton 2024, https://www.artshebdomedias.com/article/des-formes-pour-que-vive-le-precieux-ocean/