Date/heure
12/01/2024
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Analyser les réseaux socionumériques : questionner les méthodes
émis par le comité organisateur : Patrick Mpondo-Dicka (Université Toulouse 2 Jean-Jaurès / LERASS), Valérie Bonnet (Université Toulouse 3 Paul Sabatier / LERASS), Brigitte Sebbah (Université Toulouse 3 Paul Sabatier / LERASS) et Pierre Ratineau (Université Toulouse 2 Jean-Jaurès / LERASS)
Argumentaire
Apparus dans le paysage médiatique et numérique au milieu des années 2000, les réseaux socionumériques ont profondément modifié les communications interpersonnelles en ligne, puis la communication des organisations. Ils ont ainsi réduit tendanciellement la dimension documentaire du world wide web de Tim Berners Lee, bien au-delà de ce que permettaient jusqu’alors le courrier électronique, les forums et les blogs, utilisant le caractère hypertextuel du medium pour introduire des fonctionnalités conversationnelles de surface, s’appuyant sur l’idéologie participative du web 2.0 (Rebillard, 2011) pour augmenter l’engagement de l’utilisateur et mieux en aspirer les données d’usage :
- fonctionnalités textuelles d’abord : fil d’actualité (2006), page, réponse (reply), hashtag (2007), like, retweet (2009), timeline (2011) etc… ;
- puis graphiques et audiovisuelles : Stories sur Snapchat (2012), Vine (2013) puis Moments (2015) sur Twitter, Reactions (2015) puis Live (2016) sur Facebook, pour ne citer que les principales.
Dans le même temps, la communication numérique s’est structurée, professionnalisée et institutionnalisée : les organisations ont investi le web en développant leurs sites, progressivement devenus espaces de communication externe, de représentation identitaire, de valorisation du discours et des valeurs de l’organisation (Le Deuff, 2013 ; Andonova et Vacher, 2013). D’abord rétives à une certaine horizontalité de la prise de parole des premiers usages inter-individuels des réseaux socionumériques, qui malmenaient les habituelles autorités médiatiques, les organisations ont dans un second temps intégré ces nouvelles modalités à leurs stratégies de communication, étendues à la dimension communautaire, en phase avec leur adoption d’un discours de marque. Pour accompagner ce changement de cap, de nouvelles compétences et catégories professionnelles apparaissent : community manager, social media manager, recrutés dans un premier temps parmi les internautes les plus diserts et les plus compétents, amateurs dans leur statut, mais influents par leurs publications, tandis que se développe le webmarketing et ses nouvelles techniques de prospection. Aujourd’hui entrée dans les usages, faisant partie de la panoplie des outils des organisations formelles ou informelles, la communication numérique passe nécessairement par un usage au moins tactique, sinon stratégique des réseaux socionumériques.
Les sciences humaines et sociales n’ont pas manqué d’étudier ces phénomènes, en focalisant leurs investigations sur quatre axes principaux :
- l’axe ethno-sociologique, selon lequel elles ont cherché à repérer quels étaient les acteurs sociaux praticiens des plateformes, quelles modifications ces nouvelles pratiques socio-communicationnelles ont introduit au sein des organisations (Pinède, 2019), ou encore comment l’avènement des réseaux socionumériques a bousculé les institutions et les organisations, économiques ou politiques (Cardon et Granjon, 2013 ; Mercier, 2018 ; Tufekci, 2019). D’un autre côté, de nombreux travaux se sont penchés sur l’influence des plateformes socionumériques sur les rapports intra- et inter-individuels (Cardon 2008 ; Cardon, Fouétillou et Roth 2014 ; Georges 2009, 2011 ; Rallet et Rochelandet 2013 ; Rey 2014, Martin et Dagiral, 2021) et des groupes sociaux (Casilli, 2010 ; Martin et Dagiral, 2016 ; Liénard, 2018);
- l’axe socio-technique, qui tente de mettre en relation les usages et leurs conditions techniques d’avènement, en s’interrogeant sur l’incidence des technologies sur les productions, ou, en reprenant la terminologie de Mc Luhan, sur l’influence du medium sur le message : les réflexions portent alors sur la dimension programmatique, voire algorithmique de l’organisation des plateformes socionumériques (Cardon, 2015) et sur la part du dispositif socio-technique dans la production des échanges (Martin et Dagiral, 2016, 2017) ;
- l’axe socio-discursif, qui vise à repérer les expressions des modèles sociaux au travers des expressions langagières manifestées sur les plateformes, majoritairement à l’aide d’outils textométriques permettant de constituer de vastes corpus d’échanges sur les plateformes, et de repérer des lignes de forces socio-politiques dans les échanges parfois virulents autour des questions sociales vives (Smyrnaios, Sebbah, 2019) ;
- l’axe sémio-discursif, attaché à décrire la circulation des discours sous leurs diverses formes : textes, images, audiovisuels (Gunthert, 2016).
Toutefois, ces quatre entrées principales n’épuisent pas l’immensité des données échangées sur les plateformes socionumériques, ni la diversité de leurs approches. En effet, les questions méthodologiques restent ouvertes, principalement dans la manière d’articuler la dimension quantitative, qui se massifie grâce à la collecte systématique et exponentielle des données d’usage, et la dimension qualitative, qui, corrélativement, peut apparaître diluée, sans représentativité eu égard aux milliards d’usagers et au Big Data que représentent leurs données. Enfin, l’approche technique se heurte aux compétences nécessaires pour accéder à la dimension informatique des dispositifs, d’autant plus prégnante que contrairement aux sites web, l’ensemble des interactions avec les interfaces se joue du côté des serveurs propriétaires des plateformes, qui entretiennent un secret sourcilleux sur les données qu’elles monétisent, et ne donnent qu’un accès de plus en plus limité aux investigations des chercheur·e·s.
D’autres approches, plus rares, tentent de s’appuyer sur le discours des développeurs, voire leur observation participante, pour comprendre ce qui se joue derrière les interfaces. Et parfois, c’est l’entrée économique qui permet de lever un peu le voile sur les agissements programmés des plateformes et leur implémentation au sein des interfaces des applications, en s’appuyant sur les éléments de monétisation de ces dernières, qu’elles dévoilent en partie dans leur discours commercial auprès de leurs clients professionnels : les promesses de service permettent alors d’entrevoir des choix de programmation orientés.
Malgré les synthèses méthodologiques déjà publiées, et parfois conséquentes (Sloan et Quan-Haase, 2022 ; Venturini et al., 2014), l’objet réseau socionumérique est loin d’avoir été épuisé : réseau, puis média, puis plateforme, il a également progressivement changé de dénomination sans qu’il y ait de stabilisation : réseau dans l’usage populaire, média dans le champ communicationnel, qui y retrouve mieux ses marques et ses enjeux, plateforme dans une prise en compte du couplage entre modèle économique et modèle social (Bigot et al., 2021 ; Rees-Roberts et Rochelandet, 2022 ; Greffet, 2022), c’est un objet protéiforme, pluridimensionnel et multimodal, qui est un défi permanent et sans cesse renouvelé à qui veut tenter d’en mettre à jour l’intelligibilité.
Après nous être penchés sur les questions méthodologiques et épistémologiques de l’analyse des sites web (Rouquette, 2017 ; Massou, Mpondo-Dicka et Pinède, 2022 ; Pinède, Massou et Mpondo-Dicka, 2023), c’est à ce défi que nous vous invitons : se pencher sur les réseaux socionumériques pour offrir à la communauté des sciences humaines et sociales et des sciences du numérique les moyens théoriques et méthodologiques de leurs investigations, dans une perspective à la fois épistémologique et critique. À travers un nouveau cycle de trois colloques qui débutera en 2024, et dans la perspective d’aboutir à un ou plusieurs ouvrages de référence sur le sujet, nous invitons la communauté scientifique à questionner l’analyse des réseaux socionumériques et les méthodes utilisées pour y parvenir : sont-elles heuristiques ? consolidées ? généralisables ? biaisées ? pertinentes ? Il s’agit donc ici davantage d’expliquer la fabrique de la recherche et de mettre à l’épreuve de la critique scientifique les résultats ainsi obtenus dans le domaine de la communication des organisations.
Pour ce premier colloque, les axes suivants dressent des pistes de travail et de réflexion, non exhaustives :
- représentativité des corpus : Comment pouvons-nous garantir que nos corpus de données reflètent fidèlement la diversité des interactions et des voix au sein des réseaux socionumériques ?
- réplicabilité des méthodes : Dans quelle mesure nos méthodes peuvent-elles être reproduites avec succès dans des contextes distincts ? Quelles contraintes spécifiques et limites les réseaux socionumériques imposent-ils à la réplicabilité ?
- délimitation et choix des terrains : Comment pouvons-nous déterminer les frontières de nos enquêtes au sein de ces espaces numériques en constante expansion ? Comment relever les défis liés à la taille, à la spécificité et aux risques potentiels dans le choix de nos terrains d’étude ?
- typologies des dispositifs et usages : Quels avantages et biais découlent de l’utilisation de différentes plateformes et réseaux socionumériques en tant que terrains de recherche ? Dans quelle mesure pouvons-nous transposer nos conclusions à d’autres contextes ?
- questions éthiques : Comment pouvons-nous aborder de manière éthique les problématiques telles que le RGPD, la confidentialité et la posture du chercheur lors de nos analyses au sein des réseaux socionumériques ?
- accès et archivage des données : Comment gérons-nous l’accès aux données collectées ? Quelles décisions doivent être prises concernant l’open data et la gestion des données sensibles ?
- choix pertinents des indicateurs : Comment pouvons-nous sélectionner et justifier les indicateurs pour mesurer les évolutions communicationnelles ou les pratiques sociales au sein des réseaux socionumériques ?
- gestion des corpus : Comment pouvons-nous gérer efficacement et stocker les données collectées, en tenant compte de leur nature en ligne, de leur volume massif et de leur caractère sensible ?
- approches et visualisation : Comment pouvons-nous combiner les approches qualitatives et quantitatives ? Quelles sont les modalités de visualisation les plus appropriées pour représenter la complexité des réseaux socionumériques ?
- outils logiciels et compétences techniques : Quelles sont les ressources logicielles à notre disposition pour faciliter l’analyse des réseaux socionumériques, et comment pouvons-nous développer les compétences nécessaires pour les utiliser de manière efficace ?
- ancrage disciplinaire et interdisciplinarité : Comment différentes disciplines, des sciences de l’information à l’informatique en passant par les sciences sociales et les sciences du langage, peuvent-elles enrichir nos approches méthodologiques ?
- notions et vocabulaire : Comment définir et interpréter des termes clés tels que réseaux socionumériques, dispositifs sociotechniques, plateformes et médias sociaux, et comment ces notions guident-elles nos recherches ?
Retrouvez la bibliographie complète sur l'appel à communication en PDF téléchargeable.
Modalités de soumission
Les propositions de communication sont à envoyer à Patrick Mpondo-Dicka (patrick.mpondo-dicka@univ-tlse2.fr), Brigitte Sebbah (brigitte.sebbah@iut-tlse3.fr) et Valérie Bonnet (valerie.bonnet@iut-tlse3.fr). Elles se présenteront de la façon suivante :
- Première page : titre de la proposition, auteur(s), rattachement institutionnel et coordonnées, mots-clefs (5 maximum) ;
- Deuxième page : titre et proposition de communication en 4000 caractères maximum (espaces compris), hors bibliographie.
Calendrier
- Diffusion de l’appel : 23 octobre 2023
- Date limite de soumission des propositions de communication : 12 janvier 2024
- Réponse aux auteurs : 2 février 2024
Un ouvrage collectif, rassemblant une sélection des communications révisées pour publication, sera proposé à l’issue du colloque.
Date et lieu
Le colloque se déroulera les 28 et 29 mars 2024, à l'Université Toulouse 2 Jean Jaurès.