Date/heure
01/02/2022
Catégories
Coordination : Aurélie Laborde, Valérie Carayol et Isabelle Cousserand-Blin
Revue Communication & Organisation – Dossier anniversaire – Numéro 62 – Décembre 2022
A l’occasion des 30 ans de la revue Communication & organisation, l’équipe éditoriale s’est interrogée sur les thématiques qui pourraient être utiles à la communauté. Elle reste fidèle, en cela, à l’esprit qui a prévalu lors de la naissance de la revue. Nous proposons aujourd’hui un numéro spécial dédié aux « controverses et convergences dans le champ de la communication organisationnelle » qui sera suivi d’une journée anniversaire dédiée à la discussion des textes publiés.
Si les premières années de constitution du champ ont donné lieu à des débats assez vifs au sein de la communauté des SIC, les recherches en communication organisationnelle semblent aujourd’hui plutôt se structurer et se développer sur le modèle des studies anglo-saxonnes autour de thématiques communes. Les indices de polarisation des postures sont pourtant nombreux, on les retrouve dans plusieurs « arènes » de notre discipline, comme les jurys de thèse ou d’habilitation à diriger des recherches, mais également dans les évaluations d’articles entre pairs. Les travaux d’habilitation à diriger des recherches et de thèse sont également l’occasion de confronter des approches épistémologiques et des points de vue.
Le peu de publicité fait aux débats se déroulant au cours des jurys et l’anonymat de l’évaluation en double aveugle des revues scientifiques occultent cependant les discussions en empêchant leur divulgation dans des arènes publiques plus larges où elles pourraient donner lieu à de véritables controverses scientifiques.
Le temps dédié au débat, de plus en plus contraint dans le cadre des colloques et autres événements scientifiques, augmente les difficultés à engager un dialogue qui pourrait nourrir des échanges argumentés sur le long terme.
Dans les disciplines plus anciennes comme la sociologie ou la psychologie, les controverses sont identifiées, visibles, et structurent les communautés (Halpern, 2019; Marmion, 2018). Remettre la question des controverses scientifiques « sur la table » nous semble constituer une occasion de revivifier la longue tradition académique de la disputatio.
La revue Communication & organisation, qui accompagne depuis 30 ans le développement des recherches en communication organisationnelle souhaite aujourd’hui contribuer, avec ce numéro anniversaire, à engager le dialogue et encourager les controverses scientifiques, pour mettre en lumière les divergences comme les convergences dans notre champ.
Les controverses dans le champ de la communication organisationnelle, un espace à investir
Dans un article discutant les travaux sur les différentes formes d’échanges agonistiques publics, Juliette Rennes définit la controverse comme une confrontation discursive, polarisée, argumentée, réitérable ou durable, à dimension publique (Rennes, 2016). De ce point de vue, la controverse peut être envisagée comme un « sous-genre » du débat, ayant pour caractéristique d’être « polarisée ». Elle s’oppose à la polémique en raison du travail d’argumentation qui l’accompagne. Si la controverse est moins polarisée, on pourra parler de dialogue ou de discussion. Si elle ne repose plus sur un jeu d’argumentation, on parlera alors de querelle, de dispute ou de polémique.
La controverse s’inscrit dans le temps. Cette dimension temporelle de la controverse « va de pair avec le caractère fortement méta discursif et inter discursif des échanges agonistiques qui la constituent : ses protagonistes tendent à inscrire ce qui les divise dans une histoire discursive, se référant, dans chaque débat, à d’autres débats antérieurs » (Rennes, 2016, paragr. 12).
Les controverses scientifiques occupent une place particulière dans le champ d’étude des controverses. Les sciences studies présentent ainsi l’histoire des sciences comme jalonnée de controverses qui contribuent à structurer les disciplines. L’analyse des controverses permet alors d’ouvrir « la boîte noire » des trajectoires scientifiques, comprendre la science en action, les enjeux de pouvoir et la constitution de réseaux d’influence. Pour Cécile Méadel, qui a pris la suite de Bruno Latour à l’école des Mines, « l’entrée par les controverses a une vertu heuristique : la controverse est un chantier ouvert qui oblige les acteurs à expliciter leurs positions, à faire connaître leurs preuves, à modifier leurs épreuves » (Méadel, 2015, paragr. 3).
La question des controverses scientifiques est elle-même sujette à débat et controverses, opposant visions constructiviste et réaliste de la science. Les uns, à l’instar de Dominique Raynaud (Raynaud, 2018), voyant dans les controverses scientifiques un débat sur la vérité, les autres, à la suite des travaux de Callon et Latour (Akrich et al., 2006), replaçant l’activité scientifique dans un jeu social et politique plus large. Nos collègues anglo-saxons emploient ainsi le terme de science wars pour évoquer les controverses épistémologiques outre-Atlantique opposant les partisans du réalisme scientifique et du postmodernisme.
Dans l’introduction d’un dossier de la revue Hermès de 2015 intitulé « Controverses et communication », Romain Badouard et Clément Mabi revendiquent « une approche communicationnelle des controverses », regrettant que « trop peu d’études prennent véritablement au sérieux le rôle structurant de la communication dans le déploiement des controverses, en tant qu’elle rend possible la circulation des arguments, l’expression des rapports de force et la structurationd’un débat public sur les choix scientifiques et techniques » (Badouard & Mabi, 2015, paragr. 6). Plusieurs auteurs de ce dossier montrent ainsi l’importance des processus de publicisation et de construction des cadrages médiatiques des controverses. Les stratégies de communication déterminent ainsi, en partie, « la trajectoire des arguments ou encore la matérialité des arènes qui conditionne la forme des échanges et des débats » (Ibid.).
Les sciences de l’information et de la communication, s’attachant à la spécificité des espaces médiatiques et à leur absence de neutralité, nous invitent à les observer comme des acteurs à part entière des controverses qu’ils traitent. Ainsi, les espaces médiatiques de la science, les « arènes » nous diraient les science studies, ne se valent pas toutes, et une thèse scientifique diffusée dans une revue ou une autre, dans une émission de télévision ou dans un cours, dans une conférence publique ou sur twitter, portera la trace de ces contextes de diffusion et de leurs spécificités énonciatives. De ce point de vue, les dispositifs de médiation éditoriaux et médiatiques « ne se limitent pas à faire circuler des productions et des énoncés, mais les travaillent et les transforment en permanence » (Le Marec & Babou, 2015, p. 116).
Si nous reprenons la définition d’une controverse forgée plus haut (confrontation discursive, polarisée, argumentée, durable, à dimension publique), force est de constater que la communauté francophone des chercheurs en communication organisationnelle a encore eu assez peu recours à ce mode de développement et de structuration du champ scientifique. L’absence de débat prolongé entre chercheurs sur des problèmes identifiés ne favorise pas l’émergence de véritables controverses (Le Moënne, 2016).
Les jeux de pouvoir, indissociables de toute activité scientifique, et les « conditions d’existence » des chercheurs, la prudence suscitée par la cooptation, la peur du jugement, les craintes en termes
d’évolution de carrière, peuvent aussi expliquer le peu d’engouement pour des pratiques de « confrontation discursive polarisée ».
Cette dimension sociale et politique de la recherche ne peut être gommée, mais nous faisons le pari qu’en réhabilitant les apports heuristiques de la controverse, leur capacité à mettre en lumière les polarités comme les convergences, et en leur donnant un espace de publicisation, les appréhensions des chercheurs et des collectifs à confronter leurs approches et leurs travaux, pourront être réduites.
Un numéro anniversaire pour engager le dialogue et réhabiliter les controverses
La revue Communication & organisation a été fondée il y a 30 ans, avec une volonté d’ouverture, pour proposer un espace de publicisation des travaux autour de la communication organisationnelle et pour mettre en valeur la diversité et la richesse des approches, des thématiques et des points de vue. Un retour rapide sur les 60 numéros de la revue publiés à ce jour montre à quel point cette visée initiale a été respectée.
La revue a pendant longtemps constitué le seul support de publication francophone spécialisé de la communauté des chercheurs en communication organisationnelle. Elle a ainsi accompagné la carrière de nombre de chercheurs de notre communauté aux préoccupations et orientations scientifiques très diverses.
Aujourd’hui les revues susceptibles de publier les travaux du champ sont plus nombreuses, comme les chercheurs susceptibles de publier. La revue Communication & organisation souhaite à nouveau contribuer à la progression de notre discipline en incitant les chercheurs à identifier plus clairement les points de controverse et de convergence qui nous permettront d’avancer dans la structuration du champ et d’aider les (jeunes) chercheurs à se positionner. Une nouvelle étape de maturation de notre domaine d’études est en marche, et elle devrait nous permettre d’avancer collectivement vers des débats toujours exigeants, nourris des lectures de nos pairs.
Ce numéro de la revue Communication & Organisations accueillera toutes les productions visant à identifier, approfondir, argumenter, une ou des controverses dans le champ de la communication organisationnelle.
Il pourra s’agir de divergences théoriques ou épistémologiques (par exemple, les différentes manières d’aborder la question critique dans le champ, ou le linguistic turn et la place accordé au « discours »…) ; de partis-pris méthodologiques (la place de l’éthique dans la recherche, la posture en recherche-action…) ; ou des différentes façons d’aborder des thématiques spécifiques (la santé, le travail, les transformations numériques…).
Les réflexions théoriques et épistémologiques des chercheurs dans le cadre d’habilitation à diriger des recherches ou de thèses, ainsi que les débats ouverts dans le cadre d’évaluations d’articles scientifiques ou de communications lors de colloques, pourront être repris et discutés dans ce numéro. Des articles cosignés dans le cadre d’un laboratoire ou d’un programme de recherche pourront également être proposés.
Ainsi, pour l’équipe éditoriale ce numéro anniversaire des 30 ans de la revue participe d’une nouvelle impulsion, c’est une incitation à engager le dialogue. Une journée de rencontre à l’occasion de l’anniversaire de la revue sera organisée pour échanger sur les questions qui auront été soulevées dans ce numéro. Nous proposerons également une nouvelle rubrique en lien avec cette thématique dans les numéros à venir.
Calendrier et normes de composition
Calendrier
- Envoi des propositions sous forme de résumés : 1er février 2022
- Retour aux auteurs de la sélection des propositions : 18 février 2022
- Remise de l’article intégral : 31 mai 2022
- Retour aux auteurs de l’évaluation par le comité de lecture : 29 juillet 2022
- Retour des articles définitifs (revus après évaluation) : 1er octobre 2022
- Publication du numéro : 1er décembre 2022
Les propositions seront envoyées aux adresses suivantes :
- Aurelie.laborde@u-bordeaux-montaigne.fr
- Isabelle.cousserand@u-bordeaux-montaigne.fr
- Valerie.carayol@u-bordeaux-montaigne.fr
Consignes de rédaction des propositions (résumés) :
- 6000 caractères, espaces compris
- Bibliographie non comptabilisée dans le nombre de caractères
- Sur une page de garde : titre de la proposition, prénom et nom de l’auteur, université, laboratoire, adresse électronique, cinq mots-clés
Consignes de rédaction des articles définitifs
- 35 000 à 40 000 caractères, espaces compris, bibliographie comprise
- Les normes de mise en page des articles définitifs sont accessibles en ligne sur le site de la Revue
- La mise en forme finale selon les normes fournies conditionnera l’acceptation définitive de l’article.
L’évaluation des articles complets sera faite en double aveugle par le comité de lecture de la revue. La liste des membres du comité de lecture ainsi que la charte éthique sont disponible sur le site de la revue.