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15/02/2019

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Les Cahiers du Journalisme

La santé mentale dans les médias : sujet à risque ?

Date limite de soumission des articles complets : 15 février 2019


Dossier thématique dirigé par Marie-Christine Lipani (MCF – HDR : Institut de Journalisme Bordeaux-Aquitaine (IJBA) – Université Bordeaux-Montaigne/MICA) et Alain Kiyindou (Pr – Université Bordeaux-Montaigne/MICA).


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La folie et les troubles psychiques tiennent-ils une place importante dans les contenus et les productions médiatiques ? Comment sont-ils évoqués et représentés dans les médias. Quels sont les problèmes que rencontre ce traitement et les enjeux qu’il soulève ? Dans quelle mesure les perspectives journalistiques ont-elles changé depuis les enquêtes historiques de Nellie Bly en 1887 et d’Albert Londres en 1925 ? C’est autour de nombreuses questions de ce type que ce présent appel à contribution des Cahiers du journalisme est lancé.

Plusieurs éléments montrent la pertinence de tels questionnements. Premier constat : la « folie » n’a pas disparu de notre quotidien, loin de là. L’étude « Tous fous ? ! Parler autrement de la santé mentale » (De Ryinck, 2017) indique en effet que 9 personnes sur 10, sont, au cours de leur vie, confrontées à une problématique psychique. La folie demeure donc au cœur de notre société, elle semble même s’imposer comme une importante question de santé publique. Selon l’OMS, les « maladies psychiatriques sont au 3e rang des maladies les plus fréquentes après le cancer et les maladies cardiovasculaires », et la santé mentale « sera la 1ère cause mondiale de handicap dès 2020 » (cit. in ODI, 2018, p. 2).

Autre élément majeur : certains termes relatifs à la folie semblent aujourd’hui disqualifiés. Le mot « fou » par exemple est moins utilisé, notamment au sein d’univers constitués tels que l’environnement médical ou encore le milieu judiciaire. D’autres terminologies se sont imposées. On parle désormais de troubles psychiques, ou encore de maladie mentale, voire de santé mentale. Ces modifications langagières peuvent s’analyser comme l’indication, voire l’incarnation d’un rapport différent de la société à la folie. Pour Foucault (1972), ce passage du fou au malade est une requalification, voire le signe d’une sorte de normalisation. Le philosophe a, en effet, largement démontré que le regard porté sur les différentes pathologies psychiques dépendait largement de la culture dans lequel il s’inscrivait : la folie a longtemps été une affaire d’ordre et de morale avant de devenir une affaire de médecine.

Cette métamorphose des mots de la folie – qui, sans doute, éclaire la façon dont la société envisage les troubles mentaux, conjuguée aux évolutions du secteur médiatique et au rôle essentiel que conservent les journalistes dans l’information du public – invite à s’intéresser plus profondément à la manière dont les médias parlent de santé mentale et abordent de tels sujets.

La façon dont les médias cadrent une question n’est pas sans conséquences et la presse constitue un vecteur important de représentations sociales, celles-ci pouvant avoir une certaine influence sur l’opinion publique (Alezrah, 2005). Par ailleurs, différentes dimensions à la fois sociales, culturelles et collectives restent prépondérantes quand on évoque les questions liées à la folie dans son ensemble (Absil, 2015) Et, sans doute, participent-elles au fait que la santé mentale puisse apparaître tel un sujet délicat à traiter, qui ne va pas de soi, un sujet complexe encore entouré de nombreux tabous. Peut-être aussi persiste-t-il une certaine méconnaissance des troubles mentaux et de leurs conséquences, et, ce que l’on ne comprend mal peut engendrer différentes craintes. Une enquête réalisée en 2014 montrait ainsi que les connaissances des Français sur les maladies mentales restaient très faibles et que les peurs et les idées reçues persistaient malgré une légère évolution des perceptions par rapport à 2009 (FondaMentale – Klesia, 2014).

La manière dont les médias entrent (ou pas) dans de telles problématiques s’avère donc un questionnement essentiel. Il s’agit, à travers cet appel à contribution qui se concentre sur la médiatisation des troubles psychiques, ses différentes formes et ses enjeux, de dresser les principales configurations du cadre médiatique entourant les troubles psychiques. Comment ce cadre se constitue-t-il ? Que donne-t-il à voir ? Comment évolue-t-il ?

I – Argumentaire

La médiatisation de la santé mentale semble aujourd’hui un sujet de débats et de controverses important, notamment de la part des professionnels de la santé mentale et des associations qui concourent, entre autres, à une meilleure connaissance du rôle de la psychiatrie et à une meilleure prise en charge des troubles psychiques.

Si certains soulignent le rôle considérable qu’a joué la presse « à la fois dans la prise de conscience de la population face à la maladie mentale et dans le signalement de situations d’abus ou de négligence flagrants des droits des malades » (Marti!nez Azumendi, 2005, p. 9), d’autres professionnels et acteurs dénoncent un traitement médiatique considéré comme trop stigmatisant et excluant. Une revue de la littérature internationale montre des contenus rédactionnels régulièrement erronés sur les pathologies psychiques, une image déformée des personnes atteintes de maladie mentale et des symptômes exagérés.

Alors que la santé mentale relève de la vie quotidienne, elle semble le plus souvent, dans les médias grand public, s’installer dans la rubrique des faits divers. Une étude a ainsi montré que seulement 12 % des articles traitant des questions de santé mentale publiés dans les journaux canadiens abordaient les troubles psychiques d’une manière ouverte, c’est-à-dire questionnant davantage le trouble et ses effets, et sa prise en charge thérapeutique sans chercher à dramatiser la situation, alors que 40 % des articles mettaient l’accent sur la violence et la dangerosité des personnes atteintes de troubles mentaux (Whitley et Berry, 2010). Or, l’épidémiologie montre que les malades psychiques sont davantage victimes de violence plutôt qu’auteurs d’actes violents. Les individus atteints de troubles mentaux, en effet, commettent bien moins de crimes que la population générale.

Parler de la santé mentale dans les médias serait donc devenu un sujet « à risque », du moins un sujet sensible tant le propos demeure entouré de présupposés, de malentendus récurrents et reste lié à des appropriations et des perceptions différentes. L’exemple du quotidien régional La Provence, en France, est une belle illustration de telles difficultés. Ce journal, le 5 septembre 2017, publiait une enquête documentée sur le suivi des malades souffrant de troubles mentaux. Cependant, le titre de la Une « Les barjots, les schizos et les autres » a été considéré comme insultant et stigmatisant, et a provoqué une vive émotion auprès des structures représentant les malades et leurs familles, mais aussi des journalistes du quotidien (Bienvault, 2017, p. 6).

De telles réactions, sans occulter les différents aspects éthiques et déontologiques du problème, ne posent-elles aussi la question du montrable, du dicible, voire du risible (Jost, 2018) ? Ne renouvellent-elles pas les questionnements sur le rôle des médias, leur capacité à résister à toutes formes de conformisme ?

L’objectif de ce dossier est de mieux comprendre comment les médias et les journalistes sont confrontés à ces sujets complexes. Cela questionne, entre autres, les discours journalistiques, les méthodes de travail, l’accès aux sources et les rapports avec les professionnels de la santé mentale, la formation des journalistes, la construction des représentations, mais aussi, les actions et les initiatives favorisant un traitement médiatique respectueux des personnes en souffrance.

II – Axes de réflexion

Cet appel à contributions, qui encourage le croisement des regards et des approches disciplinaires, propose à titre indicatif et sans que cela soit restrictif trois entrées différentes.

Axe 1 : La place de la santé mentale dans les médias et les pratiques professionnelles

Comment la présence de questions liées à la santé mentale dans les médias a-t-elle évolué ? Quelle place lui accorde-t-on aujourd’hui ? Quelles sont les grandes logiques qui orientent la médiatisation des troubles psychiques ?

Comment les médias traitent-ils notamment les questions relatives à l’autisme, la dépression, le suicide, le mal-être au travail, le stress, etc. ? Comment les rédactions abordent-elles de telles pathologies ?

Comment les journalistes spécialisés et non spécialisés les perçoivent-ils ? Cette perception varie-t-elle selon que la pathologie psychique est l’objet de l’article ou simplement le contexte, voire le prétexte, pour aborder un autre événement ? Quels sont les éléments qui perdurent, les routines professionnelles, les difficultés spécifiques qui se manifestent ?

Quelles sont les sources « légitimes » aux yeux des médias, et à qui donne-t-on la parole dans la presse, sur les plateaux TV, etc. ? Quelle place les médias accordent-ils notamment aux témoignages de malades, aux praticiens, à la recherche psychiatrique, aux traitements et à la prise en charge ?

Comment informer quand les sources – notamment les scientifiques, les professionnels de la santé mentale – sont en opposition ou en conflit, quand les traitements sont remis en cause, ne font pas l’unanimité ? Comment, par exemple, les médias rendent-ils compte des controverses scientifiques sur les thérapies cognitives ou de ce que certains dénoncent comme une médicalisation des difficultés scolaires et du mal-être professionnel ?

Axe 2 : Les représentations médiatiques de la santé mentale

Ce deuxième axe se concentre davantage sur les formes de discours produits par les médias d’information et sur leur réception. Des analyses de discours et de contenu, des études de cas et des études en réception seront par exemple les bienvenues.

Comment les médias d’information évoquent-ils les questions de santé mentale ? Sous quels angles et selon quelles modalités – enquêtes, reportages, rubriques spécialisées, sujets occasionnels – l’abordent-ils ?

Quelles représentations véhiculent les articles ? Comment ces discours sont-ils reçus ? Avec quelles conséquences ?

Quelles approches journalistiques tendent à entretenir des perceptions négatives de la santé mentale ou, au contraire, à éclairer le public sur celle-ci ? Dans quelle mesure une partie de la couverture médiatique est-elle perçue comme une forme de stigmatisation au sens de Goffman (1975) ?

Comment des termes de la psychiatrie, en particulier le lexique actuel ou ancien des pathologies mentales, sont-ils utilisés pour évoquer des situations et des personnes sans rapport réel avec la maladie mentale ? Dans quelle mesure et dans quelles circonstances tend-on à recourir à la psychiatrie pour « interpréter » des comportements sociaux ou politiques ?

Le regard peut également se déplacer vers les rubriques dédiées au bien-être, au mode de vie, qui ont fleuri dans la presse et abordent des questions liées aux comportements, à la personnalité des individus, au vivre ensemble, au développement professionnel, etc. Quel types de connaissances mobilise-t-on dans ces rubriques et quels postulats y développe-t- on ?

Axe 3 : Faire évoluer le regard sur la santé mentale : le rôle des médias

Les acteurs impliqués dans le domaine de la santé mentale et certains professionnels de l’information appellent à changer le regard sur celle-ci, à faire évoluer ses perceptions et ses représentations collectives. Les journalistes peuvent-ils accompagner de telles évolutions et, si oui, comment ? Dans quelle mesure un tel engagement peut-il s’accorder ou même converger avec la distanciation journalistique également revendiquée dans ce domaine ?

Autant de questions qui appréhendent la médiatisation des troubles psychiques dans une approche plus éthique et sociale, une approche qui aborde les médias comme les acteurs d’un possible changement sans méconnaître leur spécificité professionnelle. Elle s’intéresse notamment aux initiatives existantes ou envisageables dans ce sens.

Des guides ou des recommandations à destination des professionnels de l’information sont par exemple élaborés par les soignants, voire parfois par des structures qui concourent à l’environnement des médias comme les conseils de presse. Quel est le rôle de tels guides ou de telles instances ? Quelle est l’efficacité de telles actions ? Faut-il favoriser des espaces d’échanges et de dialogue, des passerelles entre les psychiatres et les journalistes ? De telles préoccupations peuvent-elles se traduire dans la formation des journalistes ?

Plus généralement, ce troisième axe propose d’interroger, d’une part, les différents enjeux sociaux, économiques et politiques qui entourent la médiatisation de la santé mentale, de se pencher sur la nature politique des représentations culturelles et médiatiques, et d’autre part, sur la possibilité de les modifier et de faire évoluer les pratiques qu’elles façonnent.

Calendrier :

  • 15 février 2019 : date limite de soumission des articles complets
  • 20 mars 2019 : retours des évaluations
  • 15 avril 2019 : date limite d’envoi des versions définitives

Les auteurs doivent faire parvenir leur contribution avant la date indiquée, un texte en français comptant entre 25 000 et 60 000 signes, précédé de résumés en français et en anglais (1 000 signes maximum, soit 150 mots).

Ils veilleront à respecter attentivement les normes typographiques de la revue (disponibles à http://cahiersdujournalisme.org/FicheNormes.pdf) ainsi que ses règles spécifiques de citation des ressources en ligne (http://cahiersdujournalisme.org/FicheCitaElec.pdf).

Contacts :

Les questions relatives à ce dossier et les articles proposés sont à adresser aux deux responsables délégués du dossier :

Les propositions et questions concernant les sections non thématiques de la revue (débats, articles autonomes, notes de recherches et recensions) doivent toujours être adressées à editeurs.cahiers@pressetech.org

Mots clés :

médias, journalistes, santé mentale, représentations, amalgame, discours, stéréotype, image, pratiques professionnelles, troubles psychiques, psychiatrie, éthique, stigmatisation, médiatisation, responsabilité….

Références :

  • Absil, Marie (2015). Les représentations de la santé dans l’histoire. Liège : Centre Franco Basaglia.
  • Alezarh, Charles (2005). Considérer l’autre comme « semblable ». L’information Psychiatrique, 81, 4, 333–336.
  • Bienvault, Pierre (2017). Maladies psychiques, la violence des stéréotypes. La Croix, 06.09.2017, p. 6.
  • Bly, Nelly (2015). 10 jours dans un asile (Traduction Hélène Cohen). Paris : Éditions du Sous-Sol.
  • De Ryinck, Patrick (2017). Tous fous ? ! Parler autrement de la santé mentale. Bruxelles : Fondation Roi Baudouin.
  • Foucault, Michel (1972). Histoire de la folie à l’âge classique. Paris : Gallimard.
    Goffman, Erving (1975). Stigmate ; les usages sociaux des handicaps. Paris : Éditions de
  • Minuit.
  • Ipsos, FondaMental et Klesia (2014). Perceptions et représentations des maladies mentales. Paris : Fondation FondaMental.
  • Jost, François (2018). Télévision : de la libération de la parole à une parole sous surveillance. [En ligne] Inaglobal.fr, 09.04.2018.
  • Londres, Albert (2002). Chez les fous. Paris : Le Serpent à plumes.
  • Martinez Azumendi, Oscar (2005). Periodistas y reporteros gráficos como agentes de cambio en psiquiatría. Imágenes-denuncia para el recuerdo. Revista de la Asociación española de neuripsiquiatría, 25(96), 9–28.
  • Observatoire de la déontologie de l’information et Ajir-Psy (2018). Médias et psychiatrie. Mémo à l’usage des journalistes. (2018). Paris : ODI et Ajir-Psy.
  • Whitley, Rob et Berry, Sarah (2013). Trends in newspaper coverage of mental illness in Canada : 2005-2010. The Canadian Journal of Psychiatry. 58(2),107–112.